Marc Nagot, Solenne Berger, Christophe Fiot, en quoi tenez-vous, chacun, les « premiers rôles » du cinéma en Sud Touraine ? Marc Nagot : Je gère en indépendant le cinéma de Loches depuis 35 ans. Ici, on est deux : ma projectionniste et moi-même. Je gère ce cinéma comme une entreprise, en décidant seul de la programmation, que j’alimente à la semaine. Solenne Berger : Je suis depuis trois ans à la tête de l’association Ciné Off, née à Tours au début des années 80. Au départ, il s’agissait d’un circuit de cinéma itinérant, puis l’association a repris quelques salles équipées d’un seul écran dans certaines municipalités. En Sud Touraine, nous ne faisons que du circuit itinérant à Preuilly-sur-Claise, à Ligueil, au Louroux et à Cormery, où nous portons aussi le dispositif « école et cinéma » du Centre National du Cinéma. Nous sommes subventionnés à hauteur de 20 % de notre budget pour proposer ce qui, pour moi, s’apparente à du service public. Christophe Fiot : Je m’occupe depuis 35 ans du cinéma de Descartes, qui fonctionne en régie municipale. Nous sommes également deux à faire tourner la boutique. Nous avons une salle et organisons au moins sept séances dans la semaine ainsi qu’un concert musical une fois tous les trois mois. Comment se portent les fréquentations dans vos salles ? M.N : Pas fort ! Cette année, je fais des séances avec moins de 8 entrées par film, ce qui ne m’était jamais arrivé en 35 ans. En mai, j’ai fait 3 000 € de recettes, alors que j’ai 6 000 € de frais fixes. Comment expliquer cette baisse ? Peut-être est-ce dû au fait que sur quatre films qu’on nous propose, il y en a un qui marchera plus en province et trois plus dans les grandes villes… C.F : La fréquentation est vraiment en dents de scie. Pendant trois mois, ça peut être le désert, avec une personne par soir et puis tout d’un coup, on va faire 70 entrées, comme cela a été le cas à Descartes pour la première séance des Schtroumpfs. S.B : Il y a moins de films porteurs, surtout cette année, même si de grosses sorties vont bientôt arriver en même temps. J’ai surtout l’impression qu’aujourd’hui le public est devenu plus volatile. Personne n’aurait par exemple pu prédire que Un p’tit truc en plus ferait 10 millions d’entrées. Et dans le cas inverse, je m’attendais à ce que le dernier Bodin’s cartonne beaucoup plus sur notre territoire. Est-ce que cette situation vient d’un changement des habitudes des consommateurs ou d’une offre de films qui ne correspond pas forcément au public ? M.N : On a présenté cette année des œuvres que j’appelle des « films de province » comme Chasse Gardée. Et là, c’est vrai, tout le monde est venu. Mais à Loches, on est touché par les multiplex de Tours qui pratiquent des promos agressives en direction des entreprises. Il y a 15 ans, je faisais plein de comités d’entreprises, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La séance de 21h est aussi devenue une catastrophe. Samedi soir dernier, j’ai fait 15 entrées sur mes deux salles. Les gens ont changé de loisirs. C.F : Il y a aussi une question de pouvoir d’achat... M.N : Fais des séances gratuites, tu n’auras pas plus de monde ! S.B : Faire venir des gens au cinéma, ça prend beaucoup plus d’énergie qu’avant, même les films pour enfants. Depuis le Covid, il faut travailler beaucoup plus pour le même résultat, voire moins. Et ça, c’est épuisant pour nos équipes. Nous, à Ciné Off, pour le même nombre de salariés, on est passé de 45 à 75 séances de cinéma en plein air. Mais on les fait, parce qu’elles sont indispensables à la survie de notre association. M.N : Moi, je suis un peu en colère contre le cinéma en plein air, parce que c’est une concurrence qui nous touche directement, les exploitants de salle. Alors on rouspète, mais le Centre National du Cinéma ne fait rien, c’est la course aux entrées. Avant au moins, on était averti ; là, jamais ! S.B : Vous avez raison, les exploitants de cinéma doivent être consultés quand il y a des séances de cinéma associatif. Moi, quand je fais des dates dans une commune, je préviens toujours les responsables de salles autour. Je suis co-présidente de l’association des cinémas du Centre ; avec la DRAC, nous allons faire un état des lieux des difficultés rencontrées en région par les exploitants, ce qui va ensuite nous permettre de démarcher les pouvoirs publics. Je crois à la force du collectif. Comment chacun, chacune, choisissez-vous vos films ? C.F : Ce sont souvent des films à l’affiche dont nous parlons avec un programmateur. Comme nous sommes classés art et essai à Descartes, nous proposons tous les mercredis soir des films un peu plus recherchés, et ils marchent bien. Désormais, nous diffusons des films trois semaines après leur date nationale de sortie parce que sinon, le cinéma de Châtellerault va rouspéter un peu. Ce n’est pas très grave, les gens patientent. M.N : On connaît son public. On sait que Superman, à Loches, ça va faire 10 clients. Avec un film d’art et essai, je peux moi aussi faire plus d’entrées. C.F : Sur les films qui touchent aux thématiques rurales, la clientèle est là aussi. On ne remplira pas la salle, mais on fera une bonne soirée. Le prix du ticket est-il également trop cher ? M.N : Je ne crois pas, non, enfin, ça dépend de quel cinéma on parle. Chez moi, le ticket est à 9 € et, là-dessus, il ne me reste que 35 % pour payer ma structure. C.F : Nous on est à 7,50 €, peut-être 8 € bientôt. M.N : Moi, à ce prix-là, je ne m’en sors pas ! C.F : C’est vrai qu’en indépendant, tu es beaucoup plus fragile. M.N : Je sais que je suis l’un des derniers dinosaures… mais la bonne nouvelle c'est que le cinéma de Loches vivra après moi ! Quel est l’avenir du cinéma selon vous ? M.N : Il faut éduquer les gamins au cinéma. S’ils n’y sont jamais allés avec leur école ou avec leurs parents, ils n’y viendront jamais. S.B : En effet, c’est grâce au dispositif « Collège au cinéma » que j’y suis venue et que j’ai fait ce métier. C.F : Je pense que le cinéma existera toujours. On a toujours l’impression qu’il va se casser la gueule, mais il y a des gens qui font encore la part des choses et qui considèrent le cinéma comme une vraie sortie. M.N : C’est vrai, on a aujourd’hui une clientèle de personnes seules, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ans. Les gens recherchent le contact humain et ça, le cinéma l’offre. S.B : C’est là où, à mon avis, on a notre planche de salut. Le cinéma, c’est un lieu de rencontre, un élément du lien social. M.N : Oui, et celui-là, il n’est pas cher. Chez nous à Loches, on peut discuter avec les spectateurs après la projection. S.B : C’est exactement là où on peut faire la différence par rapport aux multiplex. C.F : De manière un peu simpliste, je pense qu’il faut davantage aider financièrement les petites salles. C’est pour ça que je tire mon chapeau à la municipalité de Descartes qui a fait le choix politique de conserver et de subventionner un cinéma dans la commune. M.N : Je crois que le cinéma durera tant qu’il restera un gros business aux États-Unis, ce qui permettra de continuer à faire des films en France. S.B : Oui, parce que dans notre pays nous avons un système d’aide à la production unique, qui permet au final à une réalisatrice comme Justine Triet de gagner une palme d’Or à Cannes, mais aussi à un large panel de salles – plus de 5 000 écrans en France – d’exister encore. Cinéma Royal Vigny à Loches Tél. : 02 47 94 06 89 www.cinema-royal-vigny.fr cinemaroyalvignyloches37 Cinéma Rabelais à Descartes Tél. : 09 72 16 18 61 https://cinema325.wixsite.com/ cinemadescartes Ciné Off Tél. : 02 47 46 03 12 https://cine-off.fr reseaucineoff reseau_cine_off/ on en cause ? en commun • automne 2025 17 Le cinéma, c'est un lieu de rencontre, un élément du lien social
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