journal en commun - Hiver 2023 / N°5

Peut-on donner une définition de ce qu’étaient les ressources humaines (RH) à l’origine? F. Mischler : À l’origine, c’était la gestion du personnel. Au début du XX ème siècle, le monde industriel a eu besoin d’ouvriers et s’est doté de personnes chargées du recrutement. Progressivement, une problématique est apparue, c’était la crainte de la syndicalisation, il y a donc eu une logique de prise de recul par rapport à cela, jusqu’aux années 70. D. Jeaudeau : D’ailleurs on parlait de "chef du personnel" puis cela a évolué vers "responsable du personnel" pour devenir "responsable ou directeur des ressources humaines", et on continue de s’interroger sur cet intitulé, je pense qu’il va encore évoluer. Au départ c’était la paie, depuis, la fonction s’est élargie. Qu’est-ce qui a fait évoluer la fonction RH? F. Mischler : C’est une fonction qui est très liée au contexte et aux évolutions sociétales. Dans les années 70-80, la population RH était très masculine, beaucoup de personnels venaient de l’armée. Dans les années 90, elle a évolué vers GRH, c’est-à-dire plutôt des gestionnaires, puis il y a eu un tournant avec le passage aux 35 heures qui a mis sur le devant de la scène l’expertise juridique, et dans les années 2000 un nouveau tournant à travers la publication d’un livre sur le harcèlement moral en entreprise et ensuite l’affaire France Telecom. Nous avons basculé dans la prise en compte de la dimension humaine avec les risques psycho-sociaux. Comme on aime être optimiste, je crois qu’on a basculé depuis vers la notion de qualité de vie au travail. J’ai obtenu mon Bac+5 RH en 1999 au moment de cette transition. La gestion du personnel avait un aspect impersonnel dans un monde productiviste. Aujourd’hui, dans un monde de ressources, l’humain est une ressource. D. Jeaudeau : C’est vrai que la fonction accompagne toutes les transformations sociétales, et nous n’avons pas épuisé le sujet. Effectivement on s’aperçoit qu’il y a l’avant et le post-Covid et dans ce post- Covid, il y a encore de nouveaux sujets à traiter. La fonction RH se redessine au fur et à mesure des évènements sociaux et nous avons effectivement quelques beaux défis à relever comme l’urgence climatique, la transition énergétique, une conjoncture économique compliquée. La fonction RH a pris encore de l’importance ces dernières années et nous sommes peut-être plus autour de la table en comité de direction car nous accompagnons toutes les transformations de l’entreprise (migration informatique, cessation ou ouverture d’activité, réaménagement ou développement commercial), le sujet humain est transverse. Les dirigeants le partagent, mais il faut aussi l’appliquer. La fonction RH doit donc être présente lors des conduites de changement. F. Mischler : Pour l’anecdote, mon sujet de mémoire portait sur la place et le pouvoir de la fonction RH. En 1999, la fonction RH n’avait pas nécessairement sa place au comité de direction et je suis entré sur le marché du travail en étant persuadé qu’il fallait qu’elle prenne sa place. La fonction RH doit apporter une vision et une ambition sans prendre parti ni pour la direction ni pour les collaborateurs. Aujourd’hui, il y a des enjeux comme la RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise), cela dépasse la direction, les collaborateurs et finalement c’est la réussite du collectif qui prime. Mais la fonction RH est aussi très diverse en fonction de la personne qui l’incarne. Est-ce que la fonction RH est aujourd’hui plus déterminée par l’humain que par une gestion verticale du personnel ? D. Jeaudeau : Quand j’ai commencé dans le recrutement, on avait pléthore de candidatures et on choisissait. Petit à petit, la tendance et le marché ont fait inverser la relation : aujourd’hui, on doit travailler notre marketing RH. F. Mischler : Aujourd’hui c’est en effet plus horizontal. Je pense que la fonction RH est amenée à innover sur la base de la contrainte. Par exemple, la réforme des retraites remet un focus sur la problématique de l’emploi des seniors. La décennie 2010 a foisonné de nouvelles solutions, de nouvelles approches avec le digital qui offre de nouvelles opportunités à la fonction RH, et les évènements comme le confinement ont été comme un point de convergence. Sans ce foisonnement technologique (Teams, visio…), la gestion plus flexible qui a été mise en place n’aurait pas été possible. Les RH ont beaucoup évolué dans leur rapport au temps, à la distance. D. Jeaudeau : En tant que RH, nous sommes des facilitateurs, mais aussi des porteurs de sens. Aujourd’hui, il faut jouer collectif ! On parle de marque employeur : il faut attirer les talents, fidéliser nos collaborateurs. Le thème de la quête du sens est très présent en RH notamment pour les jeunes. Pour moi le cœur du sujet, c’est vraiment l’amélioration des conditions de travail, l’écoute, le développement des compétences. En 2023, notre objectif est aussi de prendre soin des managers qui ont une position difficile entre les décisions stratégiques de l’entreprise et leurs équipes, tout en étant à l’écoute des problématiques personnelles, mais aussi de l’aménagement du temps de travail. Le bien-être au travail ce n’est pas juste installer un baby-foot. F. Mischler : Pour moi, le confinement a mis sur le devant de la scène quelque chose qui n’était pas une préoccupation particulière, c’est la question du lien. On a commencé à se soucier les uns des autres. Dans certains cas, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de lien, dans d’autres entreprises on a cherché à rendre ce lien plus robuste en questionnant et en écoutant les salariés. Aujourd’hui on s’ouvre enfin à la dimension émotionnelle, on prend des logiques de médiation dans la gestion des conflits plutôt qu’une logique juridique. D. Jeaudeau : Nous faisions déjà des baromètres sociaux avant le Covid, mais aujourd’hui nous parlons vraiment de marketing social, d’expérience collaborateur c’est-à-dire que l’on se soucie de ce que le collaborateur a comme perception de l’entreprise. Les sujets sont aussi travaillés de façon transverse. Le maitre mot c’est le collectif, il faut travailler sur l’intérêt commun. Il y a des individualités certes, avec un équilibre à trouver entre vies personnelle et professionnelle, il y a du management hybride avec le distanciel et il y aura probablement à construire des moments collectifs qui sont extrêmement importants. Quand on dit que les jeunes ont pris des distances par rapport à l’entreprise, là, on a un rôle à jouer. Chez WDK, nous avons reconstruit le collectif, mais de façon différente, avec des moments de convivialité. Je pense que nous avons traversé la crise Covid avec agilité, nous avons fait de belles années d’un point de vue économique et c’est le résultat d’un collectif, ici, notre valeur ajoutée est humaine. Les deux valeurs émergentes sont donc la marque employeur et la qualité de vie au travail ? F. Mischler : Les deux sont liées. Il y a une approche vertueuse qui se construit naturellement et qui fait qu’à un moment on met une étiquette sur ce que l’on pratique et que l’on cherche à améliorer, que l’on peut nommer "marque employeur". Une marque employeur qualitative est incarnée et vécue comme telle par les salariés, et elle doit être authentique, il ne faut pas que cela soit une marque employeur vitrine car ça peut se retourner contre l’entreprise. D. Jeaudeau : Mais il faut reconnaitre aussi que le marché de l’emploi est tel qu’il faut soigner sa communication et utiliser tous les canaux de diffusion adaptés et utilisés par les jeunes. Les DRH utilisent LinkedIn bien sûr, mais ils s’interrogent aussi sur l’utilisation de TikTok. Nos meilleurs ambassadeurs sont nos salariés, donc si on met en avant une marque employeur, une RSE, mais qu’après en interne ce n’est pas ça, il vaut mieux ne pas y aller ! F. Mischler : Quand dans une entreprise, on a des salariés passionnés et qui trouvent un intérêt dans ce qu’ils font, il faut les accompagner à partager leurs expériences et savoir-faire. Il y a des entreprises qui accompagnent très bien aujourd’hui leurs salariés qui deviennent des influenceurs, cela participe à établir la marque employeur. D. Jeaudeau : Le RH doit écouter et individualiser pour repenser le collectif. Aujourd’hui ce qui préoccupe les salariés, c’est la quête de sens, leur utilité dans la chaine du travail. Il faut réussir à placer des individualités dans un collectif. F. Mischler : Le besoin de prise en compte de l’individualité s’est développé. La logique de la fonction, c’est d’optimiser et trouver des solutions qui répondent au plus grand nombre, mais en face nous avons des personnes qui veulent de plus en plus être considérées comme des individus en fonction de leurs besoins, de leurs attentes, dans un monde où ils ont tout, tout de suite. Les collaborateurs attendent des RH qu’ils les connaissent mieux, qu’il y ait plus d’interactions. Il y a là un vrai challenge pour trouver le bon équilibre. Le rapport que nous entretenons avec le travail a beaucoup évolué ces dernières années. Certaines entreprises sont également confrontées à une pénurie de main d’œuvre. Dans ce contexte, la question de l’humain est devenue centrale au sein des organisations et les directions des ressources humaines sont les premiers concernés pour penser le rapport des salariés au travail et surtout le repenser. Pour en parler, nous avons réuni Dominique Jeaudeau, directrice des ressources humaines de la société WDK groupe Partner à Tauxigny-Saint-Bauld et présidente de l’ANDRH Touraine, et Frédéric Mischler, consultant en ressources humaines, fondateur d’Humaineo et co-fondateur de la société Link Valley. Ils analysent les mutations d’une profession qui doit savoir s’adapter aux évolutions sociétales. Aujourd’hui ce qui préoccupe les salariés, c’est la quête de sens, leur utilité dans la chaine du travail entreprendre en commun • hiver 20 23 13

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