Lauriane et Jérémy, comment êtes-vous devenus éleveurs ? Lauriane : On voulait travailler ensemble, créer et vendre un produit fini. C’était une totale reconversion puisque nous étions aide-soignante et mécano. Le projet s’est déclenché lors d’une foire aux vins à Amboise. On a mangé du fromage de chèvre et on a commencé à se dire : « et pourquoi pas ? ». Il faut dire qu’on a toujours vécu à la campagne, entourés d’agriculteurs. Comment vous êtes-vous formés ? Jérémy : On a fait tous les deux, à trois ans d’écart, un BPREA* à Fondettes, une formation « basique » pour être exploitant agricole. Après, on est partis un an et demi dans le sud de la France dans un élevage qui faisait de la transformation fromagère pour apprendre le métier sur le terrain. Pourquoi ne pas y être restés ? Lauriane : Il y avait peu de fermes à vendre, et on était un peu vus comme des étrangers. Sans compter les contraintes liées à la sécheresse et à la pression du loup. On a donc cherché une ferme à deux-trois heures aux environs de Tours, d’où l’on est originaire. On s’est rapproché de la Chambre d’Agriculture d’Indre-et-Loire, qui publie des annonces de cédants. Et on est tombé sur la ferme du Souheil, à Cussay ! Une exploitation que Denise et Denis ont gérée pendant 37 ans… Denise : Dans les années 80, Denis, après avoir été contrôleur laitier, a élevé des vaches laitières. Moi, j’élevais déjà des chèvres en vendant des fromages à la clientèle locale. En 1985, Denis loue la ferme du Souheil sur une quarantaine d’hectares pour faire du fourrage, cultiver du blé et du maïs ; des terres qu’on a fini par acheter. On a agrandi les bâtiments et construit un hangar, on a développé l’élevage et la vente directe. On vendait aussi nos fromages et un peu de lait à La Cloche d’Or, à Pont-de-Ruan. Quand avez-vous décidé de vendre ? Denis : Au tournant de la soixantaine, on a commencé à penser à la retraite. Nos deux filles auraient pu reprendre, elles ont fait des études agricoles, mais quand on a voulu passer la main, elles avaient déjà commencé leur vie. Après, on a eu un premier contact avec un couple de jeunes, mais au bout d’un an de pourparlers, ils nous ont dit qu’ils n’iraient pas plus loin. On s’est alors inscrits au Répertoire Départs Installation (RDI) de la Chambre d’Agriculture. L’annonce a été publiée un jeudi, le lundi on avait déjà trois clients (sic) ! On a dû voir, en tout, une dizaine de repreneurs potentiels. Qu’est-ce qui a « matché » entre vous quatre ? Denise : Nous, on préférait céder à un ménage, parce que reprendre un élevage tout seul, c’est vraiment très compliqué. Et puis on voulait voir perdurer nos fromages ; on n’avait pas envie que ça parte à l’agrandissement. Quand on nous sollicitait pour nous acheter les terres, on disait toujours : « les chèvres, elles vont avec ! » Laurianne : On a visité d’autres fermes qui ne nous convenaient pas en termes d’installations. Nous, on avait envie d’avoir la maison sur place et pas de voisins à côté ; on voulait aussi avoir une fromagerie existante pour pouvoir commercialiser rapidement. Comment s’est organisée la transmission ? Jérémy : Un stage « parrainage » a été indispensable, parce que le savoir de Denise pour fabriquer ses fromages, il n’est pas écrit dans un bouquin ! Reprendre une exploitation, c’est apprendre plusieurs métiers : la mise bas, la récolte… Et il faut voir tout ça sur une année entière. Quand les propriétaires changent, il y a une vraie crainte des clients. Grâce à ce stage, ils ont pu s’habituer à nous voir, on a fait les marchés ensemble. La transition s’est faite tranquillement. Lauriane, cette période d’apprentissage sur le terrain ne vous a pas effrayée ? Laurianne : Le boulot en lui-même, non. Par contre le marathon des rendez-vous, des appels, des papiers…, on n’en avait pas saisi toute l’ampleur. Denise : Nous, quand on a commencé, il n’y avait pas tout ça. D’un point de vue administratif, les époques ne sont pas comparables, tout s’est informatisé. Avant, on n’avait pas l’AOC Sainte-Maure (créée en 1991), la paille dans le fromage… On allait chercher 10 kg de papier blanc d’emballage et c’était parti. Niveau contrôle sanitaire, ça n’avait rien à voir non plus. Dans le temps, des gens faisaient du fromage dans des conditions un peu folklo. Et puis après, ce fut le début des normes. Jérémy : le métier en lui-même est resté le même, mais avec plus de papiers aujourd’hui… Denis : Oui mais parce qu’ici, ils peuvent travailler à échelle humaine et rester euxmêmes. D’ailleurs, moi, je continue de penser qu’il faut savoir tout gérer soi-même. Denise et Denis, vous venez encore donner le coup de main ? Denise : Oui, mais on n’est pas du genre à dire : « faites comme ci, faites comme ça ». On répond juste aux questions. Sinon, c’est leur affaire. Laurianne : Ça, c’est vraiment quelque chose qu’on apprécie, parce qu’il y a beaucoup d’éleveurs qui peuvent avoir du mal à lâcher. Aujourd’hui, Denise assure encore un petit marché hebdomadaire, donne un coup de main à la fromagerie et pendant la période des mises bas. On peut compter sur eux. Denis : Et puis on n’est pas resté habiter au Souheil, on a retrouvé quelque chose qui nous a plu, à 10 km d’ici, avec quelques animaux. On est suffisamment loin pour les laisser gérer à leur guise. Denise et Denis, avez-vous pu vivre correctement de votre métier d’éleveur ? Denise : On n’a jamais été malheureux. Jamais fortunés non plus, mais on n’en avait pas besoin. Après, on a toujours été nos patrons. Éleveur, ce n’est pas un métier, c’est un mode de vie. Ou alors un « métierpassion », comme on dit aujourd’hui, c’est ça ? Laurianne : On n’a pas choisi ce métier pour faire fortune, mais nous, ce qu’on veut, c’est juste avoir ce qu’il faut pour vivre décemment. Et on ne part pas à Bali toutes les semaines… Que dites-vous à des jeunes qui voudraient se lancer ? Denise : Allez-y, mais pas tout seul. Après, si vous bossez, il n’y a pas de raison de ne pas y arriver. Mais il faut être prêt à tout gérer. Denis : Il faut aussi dire aux cédants de vendre au juste prix ! Jérémy : Oui, parce que de l’argent, il faut en mettre au début. Nous, on a pu reprendre parce que le parc de matériel était à l’échelle de l’exploitation et adapté à la production en place. Le fromage de chèvre a de l’avenir, il n’y a pas besoin de capitaux énormes au départ. * Brevet professionnel Responsable d'entreprise agricole Gaec la ferme du Souheil 06 89 55 32 19 Éleveur, ce n’est pas un métier, c’est un mode de vie Vous recherchez une exploitation ou du foncier pour vous installer ? Vous êtes agriculteur et vous voulez céder votre exploitation ? Rendez-vous sur : www.repertoireinstallation.com on en cause ? en commun • hiver 2025 17
RkJQdWJsaXNoZXIy MTAyMTI=